« Naître,
ce n'est pas compliqué. Mourir, c'est très facile. Vivre, entre ces deux
événements, ce n'est pas nécessairement impossible. Il n'est question que de
suivre les règles et d'appliquer les principes pour s'en accommoder, il suffit
de savoir qu'en toutes circonstances, il existe une solution, un moyen de
réagir et de se comporter, une explication aux problèmes, car la vie n'est
qu'une longue suite d'infimes problèmes qui, chacun, appelle et doit connaître
une réponse.
Il s'agit de
connaître et d'apprendre, dès l'instant déjà si mondain de sa naissance, à
tenir son rang et respecter les codes qui régissent l'existence.
Il s'agit
enfin de contrôler ses peines, de pleurer en quantité nécessaire et relative,
de juger de l'importance de son chagrin et toujours, dans les instants les plus
difficiles de la vie, d'évaluer la juste part qu'on leur accorde.
Appuyé
sur le livre des convenances, des usages et des bonnes manières, faisant
toujours référence, sans jamais rien laisser passer de sa propre nature intime,
cette bête incontrôlable qui ne laisse parler que son cœur, c'est bien risible,
faisant toujours référence et ne voulant pas en démordre, à la bienséance,
l'étiquette, les recommandations, le bon assortiment des objets et des
personnes, le ton et l'ordre, on se tiendra toujours bien, on sera comme il
faut, on ne risquera rien, on n'aura jamais peur. »
C’est ainsi que Jean-Luc
Lagarce présentait sa pièce Les Règles
du savoir-vivre dans la société moderne dans le
programme écrit pour sa création en novembre 1994. Les Règles du savoir-vivre sont un
monologue dont le personnage est une dame qui décrit, édicte et commente les
règles à suivre pour affronter sereinement et efficacement les grands moments
de l’existence.
Ce texte est
l’adaptation par Jean-Luc Lagarce d’un célèbre manuel de savoir-vivre de la fin
du 19e siècle,
celui de la Baronne Staffe : Usages du
monde, qui connut en moins de dix ans plus
de 130 rééditions et eut une influence durable.
Jean-Luc
Lagarce (1957-1995) est l’un des auteurs français
les plus importants de la fin du 20e siècle, et actuellement l’auteur le plus joué en France après
Shakespeare et Molière.
Son
théâtre est centré sur le discours, et ses œuvres se caractérisent par un usage
original du langage. L’écriture de Lagarce – grand lecteur notamment de
Marivaux, Ionesco, Beckett, Duras – est à la fois extrêmement simple et
subtile, nourrie de références littéraires. Son théâtre montre des personnages
en lutte avec le langage, à la recherche permanente du mot et de l’expression
exactes : l’essentiel est moins dans ce que les personnages veulent dire
que dans les difficultés qu’ils rencontrent pour le dire. L’univers de Lagarce
est poétique et intime, plein d’humour et d’ironie sur l’homme et le monde.
Le texte de la pièce est publié aux éditions Les Solitaires intempestifs.